mercredi 22 juin 2016

Histoire d'une saison noire, premier épisode

Quand, il y a à peu près un an, je me suis inscrit à mon premier concours de brassage amateur de bière, je n'avais qu'une idée en tête : faire de mon mieux. Un an plus tard, un premier prix en poche, j'ai envie de raconter à quel point ça n'a pas été un chemin de tout repos.


Une saison quoi?


Une parfaite bière d'été, malgré sa couleur.
C'est quoi une saison noire? Bières et plaisirs décrit la saison comme :  

[...] une Ale blonde aux reflets orangés, habituellement bien coiffée et présentant une bonne effervescence. Elle est bien houblonnée, épicée et fruitée, offrant une finale sèche aigrelette et surtout rafraîchissante. Autrefois faible en alcool, elle propose de nos jours des pourcentages plus élevés. 

La saison noire doit répondre à cette définition... mais être noire.

Le défi, c'est donc de la noircir. Pour qu'une bière soit noire (ou foncée), il faut généralement utiliser un malt qui a été torréfié (il existe d'autres façons de faire, que je n'aborderai pas ici, puisque je les ai découvertes après le concours). Il n'y a donc pas de problème, vous dites-vous, ne suffit-il pas d'ajouter de ces grains pour noircir? Non. La saison noire ne doit pas perdre son côté fruité et rafraîchissant. Elle ne doit donc pas avoir le goût d'un Stout ou d'un Porter. Pas de goût de rôti, pas de goût de café, pas de chocolat...

Et puis, les levures de saisons n'apprécient pas tout à fait les grains fortement torréfiés et ont tendance à développer des saveurs particulières (pas toujours agréables) en leur présence.

Je ne savais pas encore tout ça


Toute cette belle théorie, je l'ai apprise en faisant de la recherche. Quand je me suis inscrit, n'ayant pu trouver d'exemple commercial répondant à la définition du style, je me suis d'abord tourné vers une solution simple : un mélange.

Je me suis acheté une saison et un stout et j'ai commencé à faire des assemblages pour trouver la proportion idéale qui permettrait de garder le profil de la saison et la couleur du stout. Bien que le goût ait été excellent et que la couleur ait été parfaite, quelles qu'aient été les proportions, le malt torréfié (ou rôti) volait la vedette.

La solution facile, le mélange de deux bières, était donc exclue.

La levure idéale


À la vue de ces premières expériences, j'ai décidé d'attaquer le problème un jour à la fois : d'abord designer une bonne saison, la foncer par la suite.

Sachant que le goût particulier des saisons était grandement influencé par sa levure, j'ai conçu une recette de saison assez classique (orge, blé, amertume très légère) conçue pour mettre de l'avant le caractère de la levure. J'ai commandé (5 de 4 producteurs) et cultivé des levures (2, à partir de bières qui me plaisaient) pour finir avec 7 résultats différents.

Après la fermentation et l'embouteillage (et une dose immodérée d'impatience), mon partenaire de brassage et moi nous sommes assis pour une dégustation à l'aveuglette où une à une les levures ont été éliminées, jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une. Une seule levure avait rendu la bière assez sèche, assez fruitée, légèrement poivrée, sans arrière-goût de fermentation difficile.

C'était la Belle saison de Lallemand.

Je tenais ma levure, restais à concevoir la saison parfaite.


Prochain épisode : le premier brassin.

mardi 26 avril 2016

Faire une sauce BBQ avec un surplus de moût de bière


Il arrive qu'une erreur de calcul, une tourie trop petite ou une trop grande efficacité me laisse avec un surplus de moût de bière. S'il y a quelque chose de triste dans la vie, c'est bien de jeter une possible bière. Voici donc un moyen d'utiliser ce moût.


D'où vient ce moût?


Lorsque j'ai brassé ce dimanche, mon efficacité a été 5% au-dessus de mes prévisions, donc je me suis retrouvé avec deux possibilités : ou réduire davantage par ébullition et dépasser mon taux d'alcool prévu (déjà à 8.5% et... je ne pouvais pas le faire puisque c'est une Dubbel crue) ou trouver une façon de réutiliser ce moût.

Il y a aussi une autre situation que vous connaissez sans doute tous : vous avez extrait ce dont vous aviez besoin de votre cuve d'empâtage, mais il reste toujours du liquide dans celle-ci.

Évidemment, il faut une bière pour
accompagner une sauce BBQ comme celle-ci

Plusieurs utilisations possibles


Vous pouvez réduire ce liquide jusqu'au moment où vous serez en mesure de faire du sucre d'orge. Bien avant d'atteindre ce niveau de réduction, vous aurez un sirop épais que vous pourrez utiliser sur vos crêpes, votre crème glacée ou même sur une pizza trop salée (New Amsterdam à Toronto offre ça et c'est sublime!). Vous pourriez aussi parfumer une crème glacée maison ou couper l'acidité d'une sauce à spaghetti.

Mais voilà, l'été arrive et qui dit été, dit BBQ.

La recette de sauce BBQ au moût de bière


Pour 1 litre de sauce
  • 1 litre de moût (dans mon cas, le moût pour du Dubbel à 1.073 OG)
  • 2 tasses de vinaigre de cidre
  • 150 ml de pâte de tomates
  • 50 gr de sucre
  • 1 cuillère à thé de poudre d'oignon
  • 1 cuillère à thé de poudre d'ail
  • 1 cuillère à thé de moutarde de Dijon ou à l'ancienne
  • 1 cuillère à table de café moulu finement (j'utilise une mouture espresso)
  • 1 cuillère à table de sauce piquante (au goût, j'utilise de la Sriracha). Vous pouvez en utiliser davantage si vous voulez une sauce plus piquante
  • Sel et poivre au goût


Faire mijoter à feux mi-doux jusqu'à consistance désirée (dans mon cas, environ 1h15). Plus liquide pour une sauce à marinade, plus épaisse pour une sauce utilisée comme condiment.

Attention, chaude la sauce sera toujours plus liquide.

Truc : lorsque la sauce nappe le dos d'une cuillère, c'est qu'elle est minimalement prête (pour des marinades). À partir de ce moment, c'est à vous de voir la consistance que vous désirer atteindre.

Bien sûr, vous pourriez toujours prendre ce moût, le mettre dans un contenant d'un litre et fermenter...

lundi 18 avril 2016

3 conseils et 3 lectures pour commencer à brasser sa bière

Vous êtes presque prêt? Vous voulez vous lancer? C'est probablement une des meilleures idées de votre vie, mais par où commencer? Il semble y avoir tant de livres et tant de ressources, sur lesquelles se fier quand on ne sait pas encore où donner de la tête? Relaxez, ouvrez une bière et notez ces quelques recommandations.

Tout d'abord, trouvez-vous un ami

Si vous avez une connaissance ou un ami brasseur, contactez-le. C'est selon moi le plus important. Non seulement cette personne pourra vous guider, mais elle pourra vous accompagner, brasser à vos côtés (ou vous aux siens, pour débuter). Brasser comporte quelques temps morts et les passer à jaser de bière avec une personne qui est passée par le même chemin que vous ne peut vraiment pas faire de mal.

Personnellement, j'aime brasser seul, mais j'aime encore plus brasser avec quelqu'un. Ça permet de multiplier les plaisirs. On discute, on écoute de la musique, on se fait des dégustations thématiques, on rigole et on fait de la bière. Sérieux, y'a mieux dans la vie?

Brasser, c'est aussi par moment un truc qui demande une certaine force physique. Lever ce chaudron du sol à la cuisinière ou verser ce chaudron rempli d'eau chaude peut être un exercice périlleux: pensez dizaines de kilos. Il y a aussi ces moments inévitables où vous manquerez de main (même à quatre) : la chanson des Beatles vous viendra en tête pour sur (With a little help from my friends).

Oui, il y a mieux, mais je vous déconseille de faire un aparté pour aller baiser. Brasser demande un minimum d'attention. Vous pourriez vous emballer et oublier quelque chose.

Ensuite, soyez propre

Votre mère vous a sans doute invité à vous laver les mains avant de passer à la table ou cuisiner, ce conseil tient toujours. Lavez-vous les mains, mais aussi assurez-vous que tout votre équipement est propre.

Attention : propre ne veut pas dire savonneux! Vous pouvez utiliser du savon, mais préférez un linge (propre) ou une éponge (propre et neuve de préférence) et de l'huile de coude. Pour ce qui restera de germes, on s'en occupera sous peu.

Une fois que tout est propre, il faut assainir. Vous lirez souvent qu'il faut aseptiser. C'est pratiquement impossible. Aseptiser veut dire absence totale de germes. Assainir, c'est éliminer 99% de ce qui est présent. C'est bien suffisant pour faire votre bière. Pour ça, vous aurez besoin d'un produit adéquat. Suivez les conseils de votre charmant marchand d'équipement / d'ingrédient, suivez la marche à suivre du produit choisi et tout ira bien.

Planifiez votre brassage

Vous verrez, souvent vous entendrez parler d'une « journée de brassage ». Ce n'est pas pour rien. Selon la quantité brassée, selon les techniques utilisées, selon votre équipement, selon votre organisation, votre brassage prendra d'un minimum de 2 heures (mes bières crues, 1 gallon) jusqu'à 8 heures (grosses bières genre barley wine ou scotch ale, 5 gallons).

L'organisation et la planification seront vos meilleurs amis.

Planifier sa journée de brassage, c'est bien sûr s'assurer d'avoir les ingrédients nécessaires (personnellement, je prépare tout à l'avance), l'équipement prêt à l'emploi (un jour vous allez arriver au moment de mettre en tourie pour vous rendre compte que vous n'en avez pas de libre ou qu'elle est en train de tremper après votre dernier embouteillage) et une levure prête à être ensemencée (on reviendra là-dessus dans un billet futur).

C'est aussi se faire un plan mentalement des étapes à suivre. Rien de pire qu'avoir terminé son empâtage et s'apercevoir qu'on a oublié l'eau pour le rinçage (et hop! 1 heure d'attente de plus!). J'aime bien me faire une petite répétition avant de commencer, particulièrement quand on brasse à plusieurs. Comme ça, chacun sait son rôle et peut rappeler aux autres ce qui est sur le point d'être oublié.

Pour ne pas s'en faire : The complete joy of homebrewing, Charlie Papazian

Charlie Papazian, c'est un peu le grand-père du brassage amateur. Ce livre a permis d'assouvir la curiosité de millions (oui!) de brasseurs amateurs depuis sa première édition en 1983 (la quatrième  vient juste de paraître). Les photos et illustrations datent un peu, mais le contenu a été maintenu à jour et enrichi d'édition en édition.

Charlie est célèbre pour sa maxime : "Relax - don't worry, have a homebrew". Relaxe, ne t'en fait pas, prend une bière maison. C'est malheureusement un conseil difficile à respecter lors de son premier brassin, mais combien utile par la suite.

L'approche de Charlie est linéaire. Vous commencez par un kit et un peu de théorie, puis vous améliorez ce kit avec un peu plus de théorie, puis vous brassez avec des extraits avec

davantage de théorie, puis vous faites des brassins hybrides (grains + extraits) avec encore plus de théorie et vous finissez pas mal connaissant et brassant tout grain.

Le tout, sans jamais vous en faire. Charlie est une espèce d'hippie du brassage amateur. C'est pour ça que je l'aime.

Charlie est aussi le fondateur l'association américaine des brasseurs amateurs, de l'association des brasseurs (ainsi que son président) en plus d'avoir créé le "Great American Beer Festival" et le "World Beer Cup", sans parler qu'il est aussi le fondateur-éditeur de la revue Zymurgy.

Vous avez déjà vu un documentaire (en anglais) sur la brassage amateur? C'était le barbu sympathique.

The complete joy of homebrewing, Charlie Papazian, William Morrow, 16.50$

Pour apprendre avec tout le sérieux du monde : How to brew, John Palmer

Je dois commencer par un aveu : je n'aime pas ce livre. La seule raison qu'il est mentionné ici, c'est que c'est un incontournable. Est-ce que je m'y suis référé? Oui. Est-ce qu'on me l'a cité? Oui. Est-ce qu'il est complet? Oui. Est-ce qu'il est bon? Oui.

Mais je n'aime pas le style de l'auteur. En fait, je n'aime pas l'auteur. Je l'ai vu dans d'innombrables vidéos et je ne le trouve pas sympathique. Par contre, il est compétent.

Vous êtes en droit de vous dire : « Non, mais kes-k'il-nous-raconte ?! ».

L'immense avantage de How to brew, c'est qu'il existe en version papier, mais surtout que son auteur en a mis l'essentiel gratuitement sur le web. Je dis essentiel parce que je n'ai pas fait de comparaison, mais à ma connaissance, il est complet sur son site.

How to brew, John Palmer, Brewer's publication, 17.96$ www.howtobrew.com

Pour apprendre avec les amis : nanobrasseur

Viendra immanquablement le moment où vous aurez une question que seule l'expérience pourra élucider. Ce jour-là, vous pourrez compter sur le gro
upe Facebook Nanobrasseur.

Personnellement, je le consulte tous les jours. Pour connaître l'actualité, pour savoir ce qui se fait dans les cuisines des autres, pour voir les questions de chacun, pour lire sur des techniques que je n'utiliserai jamais (ou plus tard), il n'y a pas mieux que nos pairs.

Ils sont brasseurs depuis peu, brasseurs depuis des décennies, professionnels, amateurs avertis, beer geeks, professeurs, propriétaires de brasserie, au Québec, en France, en Belgique et ailleurs.

J'étais le 1000e abonné il n'y a pas si longtemps et à l'heure où j'écris ces lignes le groupe est près des 3000 abonnés. Ils ont même des t-shirts. J'ai le mien.

C'est une communauté sympathique, qui ne juge pas, est curieuse, se reprend quand elle s'écarte du droit chemin.

C'est surtout en français.

Bref, ce seront vos meilleurs amis (j'en ai rencontré quelques-uns et c'est des chouettes personnes!).


jeudi 14 avril 2016

Êtes-vous un brasseur curieux?


Je suis du genre curieux. J'aime savoir comment sont faites les choses et surtout : est-ce que je serais capable de le faire? J'aime aussi comprendre les subtilités des mécanismes qui rendent les choses possibles. Pas besoin d'être biochimiste pour apprécier la fermentation, mais comprendre quelque notion de science ne fait pas de tort dans la perfection de cette étape cruciale. Proof, The science of booze est le livre parfait pour le petit débrouillard qui se cache encore dans mon cœur.


Un peu de science ne peut pas faire de mal


Il est (relativement) facile de suivre un protocole : fait ci de cette façon, fait ça à telle température durant tant de temps, transfère dans ces conditions, fait attention à ceci ou cela. S'intéresser aux raisons qui justifient ces étapes mène à davantage de contrôle de celles-ci et ouvre la voie à l'expérimentation. C'est pourquoi ce livre m'a tant fait plaisir.

Je connaissais déjà beaucoup de ces aspects scientifiques (à force de lire des livres sur la fermentation, j'ai appris quelques trucs ici et là), mais ils sont présentés -  pour une fois - de façon humaine à l'aide d'exemple, d'anecdotes et de mise en contexte finement ciselées.

Est-ce que je suis un meilleur brasseur après avoir lu ce livre? Non. Je l'avoue. La théorie propre à la fabrication de la bière n'est pas du niveau que je recherche. Par contre, j'ai acheté mon premier baril pour le conditionnement de bière après avoir lu le chapitre portant sur le conditionnement de l'alcool ("aging"). Je comprends mieux les mécanismes de vieillissement en barrique. Aussi, je me suis lancé dans une vaste quête sur les enzymes, ce qui n'est pas un sujet banal.

8 sujets qui nous touchent tous (ou presque)


Pas besoin d'être brasseur pour apprécier ce livre, au contraire. L'amoureux des alcools vivra sans doute une expérience plus complète que celui qui met l'accent sur un sujet seulement. L'approche choisie par l'auteur (ou son éditeur?) est une approche chronologique : levure, sucre, fermentation, distillation, vieillissement (ou conditionnement), odeur et goût, corps et cerveau, gueule de bois. Le cycle de vie de l'alcool en quelque sorte.

La distillation, bien sûr, reste un sujet totalement théorique pour le commun des mortels, puisqu'il n'est pas légal (dans l'immense majorité du monde) de distiller chez soi.

Levure

Je n'ai pas appris grand-chose dans ce chapitre, mais je rêve maintenant de visiter le tap room de WhiteLabs. Imaginez : 26 bières où le seul ingrédient qui diffère est la levure... Sinon, beaucoup d'historique, un peu de théorie de biochimie.

Sucre

Très, très intéressant. Surtout les passages concernant ce japonais qui a voulu révolutionner le monde du brassage en commercialisant un enzyme qui permettait non seulement de sauter l'étape du maltage, mais aussi celle de l'empâtage.

Fermentation

Encore une fois, pas grand-chose qui n'a pas été couvert dans le moindre manuel de brassage amateur. Par contre, pour celui qui n'en a pas lu trente (on n'est pas tous bizarres comme moi), c'est assez complet et simple à comprendre.

Distillation

Tout l'aspect des impacts de la moindre différence dans le processus (ingrédients, techniques et équipements) est assez fascinant. C'est un fait relativement bien connu des brasseurs (amateurs et professionnels), mais qui est illustré d'histoire de compagnies qui ont goûté aux aspects de cette différence et en ont payé le prix fort.

Vieillissement (conditionnement)

Mon chapitre préféré. J'ai adoré la théorie du vieillissement en fut, le fil conducteur du champignon bouffeur de part des anges, la différence entre le petit et le gros fut. C'est complet et c'est surtout un sujet peu représenté dans la littérature spécialisée.

Odeur et goût

Je veux mettre quelque chose au clair ici : si on brasse, si on boit, c'est d'abord parce que c'est agréable. C'est bon, ça sent bon, ça fait du bien où ça passe. Ce chapitre décompose les expériences olfactive et gustative, tant au niveau humain qu'au niveau chimique.

Corps et cerveau

On le sait, l'alcool a un effet. On l'aime aussi pour ça. Pas toujours, mais parfois (souvent?). Ça délit les langues, ça provoque les passions, ça rend con et ce genre de choses.

Gueule de bois

Existe-t-il des gens immunisés? Oui. Moi et mon frère. C'est une question génétique. On n'est pas tout seuls, 23% de la population est immunisée aux pires effets de la consommation d'alcool. Mais pourquoi? Peut-on l'éviter? Qu'est-ce qui se cache derrière le lendemain de veille? C'est quoi les trucs miracles pour être mieux ou boire davantage?

Ne soyez pas jaloux : je suis immunisé aux syndromes les plus difficiles de la gueule de bois, mais reste que le manque de sommeil, le manque d'alimentation et les autres conditions sous-jacentes de la consommation excessive me rattrapent aussi. Je me suis aussi demandé, un jour, il y a longtemps, qui était la personne à mes côtés au petit matin

C'est une lecture légère dans son genre. C'est une lecture académique dans son genre. Adam Rogers (l'auteur) a littéralement parcouru le monde pour l'écrire et ça parait. Ce livre a apparu dans la fameuse liste des bestsellers du New York Times, a été nommé meilleur livre scientifique par Amazon, Wired, the Guardian et NBC. Il a gagné des prix, il a été lu par des milliers (millions?) de gens et apprécié par un peu moins que ça (y'a toujours des insatisfaits).

Ce n'est pas un livre pour les initiés, sans pour autant être un livre facile. C'est un livre qui demande parfois de porter un peu plus attention, de faire quelque recherche par soi-même pour approfondir ses connaissances, mais c'est aussi un livre qui offre une vision attrayante de la science derrière la production d'alcool.

Est-ce que je le conseille? Oui.

Et vous pouvez vous le procurer en ligne ici pour seulement 16.03$ (au lieu de 20.95$ en magasin), en anglais seulement


Proof: The science of booze, Adam Rogers, Mariner, 2015

mardi 12 avril 2016

Fermenter pour survivre à l'apocalypse

Je ne suis pas un survivaliste, ni même un pessimiste, mais survivre à la suite d'un cataclysme ou d'un évènement qui viendrait à détruire la civilisation telle qu'on la connait aujourd'hui m'a toujours fasciné. Et je suis convaincu que la fermentation serait ma porte de salut.

L'apocalypse est là (mise en contexte)


Pour une raison quelconque, la civilisation s'est éteinte. Il n'y a plus d'électricité (sauf pour ceux qui ont appris à la générer), plus d'aqueduc (sauf pour ceux qui se sont intéressés à la mécanique des fluides), plus d'industrie, plus de machine, plus d'ordinateur, plus de médicaments, bref, plus de confort moderne (sa version occidentale du moins).

Ah oui, j'oubliais, Trump a été élu.

Les hommes sont laissés à eux-mêmes et doivent survivre dans un milieu hostile, abandonnés par ces garde-fous qu'ils croyaient inébranlables.

Et ils ont soif.

La fermentation est notre salut, parce que nous devons avoir le courage de survivre


La potion magique qui donne du courage et de la force surhumaine, c'est l'alcool. L'alcool permet de mettre de côté notre douleur, notre désespoir, particulièrement lorsqu'on le partage. L'alcool est un lubrifiant social, permet d'apaiser les tensions, facilite la réunion et la conversation. Ce n'est qu'en travaillant ensemble que nous pourrons nous en sortir.

Depuis des milliers d'années, les hommes se sont retrouvés autour d'un verre pour envisager l'avenir, refaire le monde. Suite à l'apocalypse, ce ne sont plus des paroles en l'air, mais une nécessité. Quel meilleur prétexte qu'un liquide alcoolisé pour prendre le temps de s'asseoir et trouver un terrain d'entente pour la suite des choses.

Au pire? On boit trop et on se tapoche. On s'excusera demain devant un autre verre.

La fermentation est notre salut, pour une question de salubrité


Oubliez le savon (autre chose que vous devriez apprendre à faire par vous-même), les égouts, les gelées aseptisantes et autres pare-microbes : tout ça n'existe plus. L'eau n'est pas propre à la consommation, les usines d'épuration ne fonctionnent plus depuis longtemps et les hommes sont prêts à l'entre-tuer pour une bouteille d'eau intacte.

Un liquide fermenté, s'il est passé par une ébullition, a peu de chance d'être impropre à la consommation pour peu que l'on fasse un peu attention. Pour une consommation rapide, un liquide fermenté risque d'être la source d'eau potable la plus sécuritaire qui soit. De là à faire de grands millésimes qui vieilliront délicatement... chaque priorité en son temps.

Et si on pousse un peu le processus, si on touche à la distillation, c'est même un environnement adéquat à des outils et des conditions minimales de médecines.

La fermentation est notre salut, pour notre alimentation


Outre les bienfaits de l'alcool au niveau énergétique, la fermentation nous permet de faire du pain, de fermenter des viandes pour la conservation (penser à un salami post-apocalyptique!), de fermenter des légumes qui pourront se conserver des mois (une bonne choucroute de choux mutants!) et d'obtenir du vinaigre. Qui dit vinaigre, dit pickles et qui dit pickles dit que la quête à la recherche de la recette du smoak meat de chez Schwartz peut commencer.

Il est probable que nos sources d'alimentation seront plus éparses, que nous devrons chasser et récolter selon le rythme des saisons et non selon les arrivages de pays étrangers. La fermentation (et le sel, et faire sécher les aliments) permettra de faire des réserves lors des moments fastes, pour passer au travers des moments où nous serons tentés de nous arracher mutuellement les yeux pour un bout de pain sec.

La fermentation comme salut économique


Sérieusement, tout comme l'économie liée à l'alcool contrôle de grands pans de notre économie mondiale, les maîtres de l'alcool post-apocalypse auront la main haute sur le marché. Ce ne sera peut-être que du troc, mais ce sera toujours une monnaie d'échange en demande.

Tout comme la nourriture fermentée vaudra son pesant d'or à l'hiver (mais qui aura besoin d'or?) et le combustible sera un des premiers marchés lucratifs de cette nouvelle ère (rien de neuf de ce côté).

D'ailleurs...

La fermentation pour une source de combustible


Du moment où nous aurons touché à la distillation, nous aurons aussi une source de combustible plutôt efficace. Briquet, bec Bunsen (ou semblant de), réchaud, éclairage ou autres applications seront alors à notre portée.


Équipement minimal nécessaire à la survie fermentée


En fait de matériel, la liste est assez courte :


  • une source de chaleur
  • un contenant pour l'ébullition
  • un contenant pour la fermentation


L'équipement ne devrait pas être un problème sérieux, ce qui sera plus difficile, ce sera les ingrédients, tout particulièrement la base de la fermentation alcoolique : le sucre.

Quelques années passeront sans doute avant qu'une source viable de quantité malt soit de nouveau disponible. Il faudra donc  se tourner vers l'une de ces deux sources abondantes (on espère que ce sera toujours le cas suite à l'apocalypse) de sucre : les fruits et la sève (je ne mets pas la fermentation du bois, parce que ça, c'est une autre paire de manches).

L'eau ne devrait pas être un problème, aussi contaminée soit-elle en surface : une source sous-terraine est toujours une solution envisageable et celles-ci devraient survivre - dans une certaine mesure - à une contamination massive. Bon, il faudra travailler fort pour y arriver, mais personne n'a dit que ça allait être facile.

La levure, sauf phénomène naturel étrange (et terriblement apocalyptique), ne sera pas non plus un problème. Une souche avec un goût intéressant sera peut-être difficile à trouver, mais la fermentation avec les levures naturellement présentes partout autour de nous devrait nous permettre de survivre un certain temps (mais ne prenez pas de chance, apprenez dès aujourd'hui comment isoler une souche de levure).

Recette post-apocalypse


Voilà le moment tant attendu ou je partage ma recette de la survie post-apocalyptique. Si jamais je suis toujours vivant et vous suivez cette marche à suivre, je réclame un banc dédicacé à votre bar. Je payerai tout de même mes consommations.

Pour une recette d'une quantité et d'une qualité et d'un taux d'alcool approximatifs.

Prendre quelques kilos de fruits (ou de sève, ou de chair de cactus) et les faire bouillir dans une quantité suffisante d'eau (genre beaucoup plus). Filtrer (un amas de branchage de sapin par-dessus un pot fera l'affaire) et ne conserver que le mout dans un contenant pour la fermentation.

Laisser la nature faire son court. Le liquide devrait bouillonner après quelques heures ou jours. Attendre que l'activité arrête et goûter. Répétez.

Ajustez la recette.

Distillation post-apocalyptique


Actuellement, la distillation de votre alcool à la maison est illégale (sauf si vous lisez cet article à partir de la Nouvelle-Zélande). J'ose espérer que ces règles seront caduques si l'humanité est majoritairement exterminée.

Pour distiller dans ce monde rendu imparfait, vous aurez besoin de :

  • avoir fermenté de l'alcool selon la recette précédente
  • une source de chaleur lente
  • un contenant ebullition fermé avec une cheminée en métal, pliée au bout pour former un angle de 45° et ensuite formé en forme de ressort (héliocoïdale me semblait un peu poussé comme terme)


Le principe? Vous chauffer tranquillement votre alcool à faible pourcentage. L'alcool s'évapore à une température plus basse que l'eau et monte dans la cheminée de métal. En passant le coude, la vapeur redescend et se refroidi dans les méandres en forme de ressort, se condense et redevient liquide.

Vous collectez (jeter les premières gouttes : poison) et survivez, avez classe (ainsi que tous vos amis de beuverie, qui maintenant voudront toujours être chez vous et goûter à vos meilleurs trucs, mais ça c'est pas différent de ce que vous vivez actuellement alors que vous brassez votre bière à la maison).

mardi 15 mars 2016

Houblons et bières crues : l'erreur fondamentale


Alors que j'approche du dixième brassin de bières crues, je viens de faire une découverte fondamentale dans mon processus : mon houblonnage est complètement erroné.

**Avertissement, billet partiellement technique**

Elle est belle, elle est bonne, elle est houblonnée à souhait
mais elle a l'amertume d'un verre de lait (caillé)

Ça sent le houblon, ça goûte le houblon, mais...


J'ai brassé 3 IPA, dont une double IPA, qui avaient toutes un arôme et un goût très prononcé de houblon. C'était magnifique. L'amertume était (trop) légère, mais c'était floral, épicé, résineux, une joie pour mon palais et mon nez. Malheureusement, il manquait quelque chose : l'amertume.

Dès mes premiers billets, j'ai utilisé pour mes calculs une équivalence qu'il me semblait avoir lue quelque part: 1h d'empâtage = 10 minutes d'ébullition.

C'est tout ce qu'il y a de plus faux. Malheureusement.

Comment calculer le houblonnage d'une bière crue


Pour concevoir mes recettes, j'utilise un logiciel - Beersmith - qui s'occupe de calculer l'amertume en fonction du temps et du sucre présent dans le mout de bière. Mais voilà, il assume que le mout boue (je vous épargne les formules).

L'isomérisation du houblon (réaction chimique qui permet d'extraire l'amertume du houblon) nécessite de la chaleur. À 100°C (température où boue l'eau au niveau de la mer), on a une assez bonne idée du phénomène. Par contre, dès que la température chute, l'efficacité du processus tombe en flèche.

J'ai cherché durant des jours à savoir quel serait le potentiel d'extraction à une température d'empâtage (entre 58 et 72°C). J'ai failli abandonner jusqu'au moment où j'ai trouvé ce mémoire écrit par un charmant étudiant américain.

Ce qu'il a démontré, en gros, c'est que l'efficacité de l'isomérisation chute en moyenne de 223% à chaque 10°C. Bref, à 90°C, l'efficacité tombe à 45%... à 20% à 80°C... à 9% à 70°C et à... 4% à 60°C!!!

Un houblonnage en empâtage à 60°C est donc 25 fois moins efficace qu'à température d'ébullition!

Concrètement


Pour ma Double IPA (4 litres à 1.077), j'ai visé environ 95 IBU (unité d'amertume). J'ai donc utilisé 56 gr de Citra (12AA), calculé sur 10 minutes d'ébullition. L'équivalent aurait été de 20gr sur 60 minutes.

Malheureusement, mon IBU doit tourner autour de 8.5.... on est loin du 95 recherché!

Mais est-ce que j'aurais pu l'éviter? Puisque mon empâtage s'est fait à une température près de 70°C (69), l'efficacité de l'isomérisation devait tourner autour de 9%. C'est donc 220 gr de houblons qui auraient donc été nécessaires pour atteindre le 95 IBU recherché. C'est 11 fois plus et surtout, c'est près d'une demi-livre, soit ~25$ de houblon pour 4 litres (un peu moins cher, selon le fournisseur)!

En conclusion


Il n'est pas raisonnable de suggérer de multiplier l'utilisation du houblon par 11 ou 25 (selon la température d'empâtage). Il serait aussi trop défaitiste d'abandonner l'expérience de brassage de bières crues à ce stade juste parce qu'un défi supplémentaire s'est présenté.

Ce qu'il reste comme possibilités :


  1. Brasser des bières qui ne demandent pas ou presque pas d'amertume
  2. Considérer les bières crues comme des bières aux arômes et saveurs très houblonnées, mais pas du tout amères (ce qui peut être intéressant pour découvrir un nouveau houblon)
  3. Utiliser des mélanges de houblons à fort taux d'acides Alpha (quoi que mon Citra, à 12% était déjà pas mal). Encore, il faut que ce mélange soit harmonieux
  4. Faire des hybrides : utiliser le même protocole de brassage, mais introduire une eau houblonnée pour l'empâtage, eau qui aura bouillie avec du houblon pour en extraire l'amertume


À mes yeux, ce sont les options 2 et 4 qui s'imposent comme les plus intéressantes.

Donc... je vais tenter le coup de créer des bières crues hybrides où l'eau de l'empâtage (ou du rinçage?) aura bouilli...

Formule et conclusions empiriques à venir!


Référence : Mémoire de maitrise de Mark G. Malowicki, Hop Bitter Acid Isomerization and Degradation Kinetics in a Model Wort-Boiling System, Oregon State University, 2004

mardi 8 mars 2016

La première gorgée de bière

«Que celui qui n'a jamais titubé me lance la première bière»
- Renaud , Toujours debout
La première gorgée est rituelle. Je choisis la bière qui m'inspire le plus, sélectionne le verre en conséquence, tend l'oreille à l'ouverture et regarde attentivement le liquide valser au fond du verre.

Et je salive.

Je sens, donc je bois


A-t-elle formé un beau collet? Est-elle limpide ou voilée? Semble-t-elle bien gazeuse ou plutôt plate? Si je tends l'oreille, est-ce que ça sonne comme une pluie d'été ou comme des Rice Krispies? Est-ce que le collet se maintien ou est-ce qu'il tombe à peine arrivé au combat?

Parfois, je peux sentir le houblon à près d'un mètre. Parfois, il est absent même si je mets mon nez dans le verre. Des fois, c'est la levure qui clame son existence et parfois c'est le malt qui crie son droit ancestral de prendre toute la place. Sans parler du reste: ces relents d'animaux, ces tanneries du bord du fleuve, ces fruits après la pluie, ces tartes aux pommes, aux citrouilles, ces épices et autres qui viennent tout brouiller, tout transformer.

Parfois, ça sent la mer, parfois la montagne. Ça ne sent jamais la ville, ou si peu.

Je n'ai pas encore trempé mes lèvres. Je n'ai pas goûté. Je ne suis même pas dans un exercice de dégustation : ça, c'est comment se prépare la première gorgée de bière.


Je plonge


Puis, je me mouille, je plonge. Je soulève le verre et le pose sur ma lèvre inférieure. J'incline délicatement le verre pour qu'il laisse couler doucement la bière dans ma bouche avide. Ça commence sur le bord de la lèvre, un léger pétillement, la température de la bière. Puis, ça se glisse sur ma langue, tout autour d'elle, contre mon palais, contre mes joues, ça explose de partout.

Je ferme les yeux et j'avale. C'est frais dans ma gorge, ça descend lentement, ça laisse un goût fugace ou persistant dans la bouche. Quelques surprises me remontent par le nez, il y a des odeurs-surprises qui viennent compléter le parfum.

J'ouvre les yeux et me surprends à chercher la bière où elle n'est plus.

La magie de l'enfance


Tel un enfant, je remonte au plongeoir pour revivre ce moment, cette excitation, plonger de nouveau, me mouiller davantage. C'est malheureusement peine perdue. La magie de l'enfance, celle de s'émerveiller en continu, sans cesse, sans jamais que rien ne vienne teinter le plaisir, n'est plus là.

Je découvre autre chose.

Mon nez s'attarde un peu plus longuement, je prends du recul et fait tournoyer la bière dans mon verre. Elle a un nouvel éclat ou s'est ternie selon le cas. Je suis déjà biaisé. Je remarque déjà des accents, des subtilités, des défauts que j'ai manqués la première fois, mais je sais que j'ai perdu à jamais la naïveté de la découverte.

Ce n'est pas plus mal. Maintenant, je peux boire ma bière. Celle-ci et la prochaine et celles qui suivront. Je peux partager un bon moment, apprécier ce que je vais boire, en deviser, déguster, noter, décortiquer, mais j'ai perdu ce moment éphémère où la communion était possible.

Jusqu'à demain. Jusqu'à la prochaine première gorgée de bière.