mardi 8 mars 2016

La première gorgée de bière

«Que celui qui n'a jamais titubé me lance la première bière»
- Renaud , Toujours debout
La première gorgée est rituelle. Je choisis la bière qui m'inspire le plus, sélectionne le verre en conséquence, tend l'oreille à l'ouverture et regarde attentivement le liquide valser au fond du verre.

Et je salive.

Je sens, donc je bois


A-t-elle formé un beau collet? Est-elle limpide ou voilée? Semble-t-elle bien gazeuse ou plutôt plate? Si je tends l'oreille, est-ce que ça sonne comme une pluie d'été ou comme des Rice Krispies? Est-ce que le collet se maintien ou est-ce qu'il tombe à peine arrivé au combat?

Parfois, je peux sentir le houblon à près d'un mètre. Parfois, il est absent même si je mets mon nez dans le verre. Des fois, c'est la levure qui clame son existence et parfois c'est le malt qui crie son droit ancestral de prendre toute la place. Sans parler du reste: ces relents d'animaux, ces tanneries du bord du fleuve, ces fruits après la pluie, ces tartes aux pommes, aux citrouilles, ces épices et autres qui viennent tout brouiller, tout transformer.

Parfois, ça sent la mer, parfois la montagne. Ça ne sent jamais la ville, ou si peu.

Je n'ai pas encore trempé mes lèvres. Je n'ai pas goûté. Je ne suis même pas dans un exercice de dégustation : ça, c'est comment se prépare la première gorgée de bière.


Je plonge


Puis, je me mouille, je plonge. Je soulève le verre et le pose sur ma lèvre inférieure. J'incline délicatement le verre pour qu'il laisse couler doucement la bière dans ma bouche avide. Ça commence sur le bord de la lèvre, un léger pétillement, la température de la bière. Puis, ça se glisse sur ma langue, tout autour d'elle, contre mon palais, contre mes joues, ça explose de partout.

Je ferme les yeux et j'avale. C'est frais dans ma gorge, ça descend lentement, ça laisse un goût fugace ou persistant dans la bouche. Quelques surprises me remontent par le nez, il y a des odeurs-surprises qui viennent compléter le parfum.

J'ouvre les yeux et me surprends à chercher la bière où elle n'est plus.

La magie de l'enfance


Tel un enfant, je remonte au plongeoir pour revivre ce moment, cette excitation, plonger de nouveau, me mouiller davantage. C'est malheureusement peine perdue. La magie de l'enfance, celle de s'émerveiller en continu, sans cesse, sans jamais que rien ne vienne teinter le plaisir, n'est plus là.

Je découvre autre chose.

Mon nez s'attarde un peu plus longuement, je prends du recul et fait tournoyer la bière dans mon verre. Elle a un nouvel éclat ou s'est ternie selon le cas. Je suis déjà biaisé. Je remarque déjà des accents, des subtilités, des défauts que j'ai manqués la première fois, mais je sais que j'ai perdu à jamais la naïveté de la découverte.

Ce n'est pas plus mal. Maintenant, je peux boire ma bière. Celle-ci et la prochaine et celles qui suivront. Je peux partager un bon moment, apprécier ce que je vais boire, en deviser, déguster, noter, décortiquer, mais j'ai perdu ce moment éphémère où la communion était possible.

Jusqu'à demain. Jusqu'à la prochaine première gorgée de bière.

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